NOURRIR LE DÉBAT SUR LES MÉDIAS AUX COMORES
Médias aux Comores/ Des bribes d’histoire (ré)assemblées paraît aux éditions Bilk & Soul[1]. Une rare contribution, publiée sous la direction du CNPA (Conseil National de la Presse et de l’Audiovisuel des Comores), dans l’idée de dresser un rapide état des lieux de la profession. Un peu moins de 80 pages, co écrit par des journalistes de la place, qui ont cherché, non pas à dresser un réquisitoire, mais plutôt à fournir des clés pour que l’on saisisse mieux les limites de leur monde.
C’est d’abord un récit écrit à plusieurs mains, très bien illustrée avec des phots d’époque, dédiée à une profession issue de la fabrique coloniale, avec ses malentendus et ses impensés. Un des co-auteurs, Kamal’Eddine Saindou, raconte une fracture originelle : « Historiquement, la presse écrite est le produit d’un mimétisme où les nouveaux pays africains indépendants devaient disposer de leur journal national au service des gouvernants. L’usage de la langue française dans la presse témoigne de ce décalage. La radio, média oral et mieux adapté à la société, n’a pas su non plus se débarrasser de ses origines coloniales ». Ces médias se sont laissés instrumentaliser dès le départ par les pouvoirs en place. Ce qui les a éloignés du commun des mortels. « Cette rupture originelle explique sans doute la difficulté (…) à jouer leur rôle de véhicule d’information adapté au besoin du peuple ». Ali Moindjie, autre co auteur de l’ouvrage,renchérit : « les principaux médias sont toujours dans la propagande. Il ne faut pas oublier que la plupart sont encore détenus et contrôlés par l’Etat. Ce dernier en a fait un moyen de promotion exclusif des hommes au pouvoir, au détriment de ce qui aurait pu être leur mission d’informer ». Aucun groupe de presse privé n’induit de vrai changement, à ce jour.
Ces médias semblent n’avoir aucune prise sur le réel, par ailleurs. « Les Comoriens sont très mal informés », selon Moindjie. « L’information traitée suivant des critères professionnels reste toujours une denrée rare. Les questions que se posent les Comoriens demeurent sans réponse. Le sort du président Sambi, les effets réels du Covid, l’impact de la corruption, les dessous des élections, la liquidation de la société de pêche, la cherté de la vie, le départ d’un armateur important… Le Comorien moyen ne sait rien de tous ces sujets ». Pourtant, tous deux sont d’avis que cet espace n’a jamais connu autant de médias que de nos jours. « C’est l’effet combiné de l’apparition de radios communautaires (non professionnelles) et des réseaux sociaux », qui génère ce sentiment, toujours selon Moindjie. « Ils permettent une certaine exposition. Cela donne l’impression générale que la société brise son silence habituel. Je pense que c’est une illusion. Il faut faire attention à ne pas tomber dans le piège ». Kamal’Eddine Saindou se souvient d’événements, survenus il y a une trentaine d’années. Des journalistes, décidés à s’affranchir des pouvoirs politiques, avaient lancé leur combat pour la liberté de l’information. « Mais ce besoin de liberté n’a donné lieu à aucun modèle économique, leur assurant une forme d’indépendance ». Ce qui explique leur fragilité actuelle face à un système devenu de plus en plus pernicieux.
Le constat au niveau du débat public reste effarant. L’importance prise par la pensée unique dans cette société, sous toutes ses formes, génère des habitudes dans la manière de traiter l’information. Comparant ce qui se passe à Maore au reste de l’archipel, Kamal’Eddine Saindou signale un phénomène : « On peut constater de nombreux points communs. Notamment une domination de l’actualité institutionnelle, qui privilégie les acteurs politiques, en donnant l’impression que l’information se résume à une confrontation entre deux camps. L’exécutif au pouvoir et l’opposition. Un traitement de l’information qui, à la longue, s’éloigne des problématiques intéressant la population. D’où l’écart entre ce que disent les médias et ce que vit la population ». Mais il signale, au-delà des formes de binarité qui en sont issues (manichéisme, positionnement pro et contre), quelques différences, notables. « A Maore, la presse a pris fait et cause pour la pensée dominante, notamment en ce qui concerne la défense de Mayotte française. Cette prise de position, fait de la presse mahoraise, le relais de la politique française dans l’île. Elle prolonge sans aucun esprit critique, le discours officiel, y compris lorsque celui-ci véhicule des contre-vérités. Sur le reste de l’archipel, l’alignement de certains médias sur le discours officiel relève plus de l’opportunisme et de la recherche de petits intérêts matériels que d’une conviction sur les thèses défendues par les exécutifs politiques ».
Les deux journalistes reconnaissent l’importance prise, ces dernières années, par les réseaux sociaux dans la vie du Comorien. « Il est d’ailleurs paradoxal de voir les mêmes journalistes prendre le contre-pied sur leur page facebook de ce qu’ils écrivent dans les médias où ils travaillent. Ils retrouvent dans les réseaux sociaux un espace non contraignant où ils peuvent prendre leur liberté. Cependant, la plupart ramènent avec eux la culture de l’adversité qu’ils ont déjà développée dans leurs médias respectifs. Ce qui a tendance à polluer les réseaux sociaux, et à en faire un espace de confrontation au détriment de l’information » tance Kamal’Eddine Saindou. Il déplore un fait, devenu caractéristique : « Le fait que les journalistes des médias classiques en ont fait leur défouloir, le lieu de leurs frustrations, oubliant les règles déontologiques et l’éthique qui encadrent leur parole, a fait des réseaux sociaux non plus un espace d’information, mais le lieu d’une confrontation ouverte à tous. L’absence de régulation sur ce nouvel espace a laissé cout à toutes les dérives ». Moindjie rappelle de son côté que « tous ceux qui prétendent faire du journalisme sur les réseaux sociaux ne sont pas toujours des journalistes. La mission d’un journaliste est de diffuser des informations d’intérêt public, en s’efforçant de rester honnête dans l’élaboration des contenus qu’il rend public. Quand il ne fait que publier ses avis, sans expliquer les faits, sans préciser leur contexte et leur relations les uns aux autres, il fait peut-être autre chose, mais pas du journalisme. Dans la profession, on appelle cela du « jus de crâne ».
Ali Moindjie parle, lui, de médiocrité : « On est un pays, dont les exigences professionnelles ne sont pas particulièrement élevées. Dans tous les secteurs, on peut être médiocre et faire carrière. Ce n’est pas une particularité du journalisme. Maintenant, pour avoir de bons journalistes, il faut les former. Or, je n’ai pas l’impression cela soit d’actualité. Par ailleurs, je note que les bons éléments quittent rapidement la profession, dès qu’ils se rendent compte des blocages de toute sorte, qui risquent de miner leur possible carrière ». Pour Kamal’Eddine Saindou, il est question de régression : « Il y a un réel rétrécissement du champ de l’information. Les journalistes ont désappris à travailler les genres rédactionnels, tels que les reportages, les enquêtes. Le traitement de la seule actualité institutionnelle les a éloignés des autres thématiques de la vie sociale et culturelle, qui auraient contribué à développer des sensibilités et à libérer des capacités d’écriture. D’où la pauvreté des contenus et une certaine médiocrité lorsqu’il faut sortir de ces sentiers battus ». Le livre fait cependant res sortir quelques figures du lot, dont les cas d’Aboubacar M’Changama (L’Archipel) et de Cheikh Ali Bacar Kassim (Tropic FM) paraissent les plus marquants : « Aboubacar Mchangama est sans conteste, le pionnier du journalisme indépendant. En outre, il a inspiré toute une génération dans l’exigence de la recherche de l’information et dans la qualité de son traitement. Il a contribué à donner au journalisme son statut de profession exigeante et montré que l’indépendance s’acquiert par la rigueur personnelle grâce à une éthique chevillée au corps ».
Cheikh Ali Bacar Kassim, quant à lui, n’a pas démérité, non plus. « On lui doit la première radio libre, qui a fait exploser les conformismes de l’époque. Il a ouvert le public à des univers musicaux peu connus, créé un style personnel de publicité radiophonique et surtout ouvert l’antenne à l’expression de toutes les tendances politiques. Son courage personnel a donné une autre dimension des médias, capables de jouer un rôle de mobilisation de la jeunesse jusqu’au plan politique. Cet esprit d’ouverture a libéré les énergies et contribué à démocratiser la radio ». Pour Moindjié « Aboubacar M’Changama représente, pour nous, la rigueur et le courage. C’est une sorte d’autorité morale, pour moi en tout cas. Le mérite de Cheikh Ali est d’avoir lancé la première radio libre contre vents et marées ». L’ouvrage, qui porte bien son nom – Médias aux Comores/ Des bribes d’histoire (ré)assemblées – traite aussi de la question du genre, sous la plume de Faïza Soulé Youssouf. L’occasion d’entendre parler d’une autre figure de la presse, Saminya Bounou, aujourd’hui disparue, mais dont la ténacité a laissé des traces dans la mémoire de tous. Elle est en effet connue pour avoir osé accuser Mohamed Abdou Soimadou, son directeur de l’époque à Al-Watwan, de harcèlement sexuel. On en était pas encore à la vague #MeToo. Une affaire bien embarrassante… qui aurait sans doute mérité plus de place dans le livre. Car la question du genre continue, si l’on en croit les dernières affaires, à être un souci de taille. Mais peut-être est-ce le début d’un autre opus autour des médias à venir. Mohamed Boudouri, président du CNPA, qui préface l’ouvrage, tout en regrettant de n’avoir pu aborder Mayotte, conclut par ces mots : « Mon souhait le plus ardent est de voir cet ouvrage nourrir le débat sur l’amélioration des conditions d’existence du métier d’informer dans l’archipel ».
Propos rapportés par Med
[1] Ouvrage co-écrit par Kamal’Eddine Saindou, Ali Moindjie, Soeuf Elbadawi et Faïza Soule Youssouf, paru aux éditions Bilk & Soul, 76 p
La section UPF de Djibouti a exprimé, auprès d’AMF et l’UPF, le souhait d’organiser deux sessions de formation au bénéfice de l’accord cadre14 septembre 2017.Une convention de formation a été signée, le 27 novembre 2018 entre Kenedid Ibrahim Houssein, Président de l’UPF de Djibouti et David Bohbot, Président d’Actions médias francophones.